peut-on vivre de la permaculture ?
ils ne savaient pas que c’était impossible… alors ils l’ont fait !
Évidemment, on est beaucoup à avoir la sensation, et surtout en France, que la permaculture permet de dégager des revenus non pas grâce à la vente de produits, mais plutôt avec la commercialisation de stages, de formations, de gîtes écolos, etc. ou alors parce qu’il existe une activité complémentaire. On connaît peu de maraichers, arboriculteurs ou bien éleveurs en permaculture.
On pourrait répondre à la question en disant que la permaculture n’a jamais prétendu être une activité professionnelle, mais un cadre de pensée, une méthode de conception permettant de mettre en place des systèmes agraires, économiques ou sociaux durables. Certes. Mais ceci étant dit, si la permaculture est censée permettre l’aménagement de systèmes durables et viables avec un taux de succès honorables, on devrait pouvoir témoigner de cas concrets de réussites, au moins en proportion des projets qu’on voit émerger un peu partout…
Se pose alors la question de la validité d’une telle démarche. On peut simplement répondre à cette question en observant que la majorité des pratiques agraires du monde qui sont restées en dehors du système agroindustriel peuvent être qualifiées de permaculturelles à différents degrés. Tant qu’elles n’entrent pas dans le système de l’agrobusiness, elles nourrissent les gens.
Donc on le constate : appliquée aux systèmes agricoles, la permaculture ça marche !
Plusieurs éléments expliquent le fossé qu’il existe entre la magie de la permaculture sur le papier et le peu d’exemples de réussite concrets.
1 – Le marché est truqué
L’agriculture conventionnelle est quadruplement subventionnée :
- par le paysan qui travaille comme un forcené et qui y laisse sa santé
- par le citoyen qui paie des impôts pour les aides agricoles
- par les ressources fossiles qui fournissent l’énergie, les engrais et les produits phytosanitaires à petits prix
- par la nature et le sol qu’on épuise comme des ressources minières
Ainsi, un système agraire qui se passe de ces subventions (servitude, aides, intrants, dégradation) part avec un handicap majeur. Or justement un système permaculturel :
- est sensé réduire la quantité de travail nécessaire,
- n’est pas à priori subventionné financièrement,
- n’utilise pas d’énergies fossiles (sauf peut-être au tout début),
- et cherche à aggrader le sol et restaurer les écosystèmes.
Certes, les pratiques permaculturelles sont conçues de telle manière qu’elles sont censées être aidées par la nature, au moins au bout d’un certain temps. Mais c’est trop miser sur la bienveillance de Dame nature que de croire que même avec des pratiques qui la respectent et la soignent, elle pourra compenser le quadruple handicap de départ.
La permaculture ne pourra se sortir de ce handicap que lorsque les subventions accordées au système actuel cesseront :
- abandon de l’activité agricole par les exploitants (surmenage, empoisonnement et absence de repreneurs)
- faillite des programmes d’aide publique, diminution des subventions agricoles
- pénuries énergétiques, hausse des prix des ressources fossiles
- désertification, sols morts
On voit à quel point le système agricole actuel est un piège, puisqu’il bloque le développement des alternatives jusqu’à ce qu’il soit lui-même en déroute, un peu comme une reine bloque la maturation sexuelle des autres abeilles jusqu’à ce qu’elle meure.
2 – Etre paysan : un vrai métier
Être paysan, c’est l’apprentissage de toute une vie, c’est une énorme masse de savoir-faire qu’il faut maîtriser si l’on imagine gérer des écosystèmes complexes de façon suffisamment optimale pour en tirer un revenu. Un BPREA, (Brevet Professionnel Responsable d’Exploitation Agricole), c’est 1400h et à la fin, on est seulement chef d’exploitation, on n’est pas encore paysan, loin de là. La formation pour être « concepteur en permaculture », c’est un PDC, un « Permaculture Design Course », institué par les fondateurs australiens, et c’est 72 heures de théorie avec un peu de pratique.
3 – Du design à la production, un vrai fossé
Quand on veut gérer un paysage avec les principes de la permaculture, et que notre but est d’exporter commercialement les surplus (ne serait-ce qu’auprès des voisins), et pas seulement avoir un système assez productif et passablement stable dans un jardin que l’on se permet de faire fonctionner au fil de nos humeurs et envies, il faut un écosystème très productif et très stable dans une ferme qui continue à produire malgré les aléas écologiques, économiques et climatiques. Et pour ça, il faut bien observer et bien réfléchir, mais ça ne suffit pas. Il faut aussi des années de mise au point, même quand on a grandi à la ferme.
La conception permaculturelle fournit une méthodologie et des idées sur la façon d’agencer le paysage et les éléments pour qu’ils interagissent, pour que les déchets des uns soient la nourriture des autres, pour que rien ne soit jamais perdu, etc. Sur le papier, tout est beau. Et comme les idées se basent sur l’observation minutieuse du fonctionnement de la nature, on se persuade qu’elles doivent fonctionner du premier coup. Que nenni ! Les livres de permaculture sont pleins de jolis dessins, mais il faut un peu les considérer comme les dessins d’engins volants de Léonard de Vinci : tant qu’on ne les a pas vus voler, ce ne sont que de jolis dessins.
Mais dans la réalité chacun doit adapter ces idées à son terrain et à son contexte, cela nécessite de consacrer d’importants efforts à la difficile et longue mise au point des idées issues de la phase de conception, avec probablement beaucoup de déboires et de désillusions.
Ainsi, c’est à chacun de prévoir dans son design une période de mise au point qui pourra prendre une bonne dizaine d’années, surtout qu’on ne réfléchit pas à une monoculture, mais qu’il faut être au point sur toutes les productions et les relations entre elles dans le paysage de la ferme.
Alors, peut-on vivre de la permaculture ?
Ceci étant dit, on comprend pourquoi il est difficile de réellement « vivre de la permaculture ». Mais si l’on a compris que la production de nourriture devra opérer bientôt une descente énergétique, alors la permaculture sera indispensable. Il faut donc que la permaculture puisse progresser dès maintenant, et donc qu’il y ait de vrais paysans-permaculteurs et pas seulement des jardiniers-permaculteurs. Si la permaculture aujourd’hui ne permet pas de « vivre de son exploitation », elle peut permettre, petit à petit, à plus de gens de vivre, tout simplement. Dans les pays dits développés, il n’existe encore que peu de permaculteurs qui vivent de leur passion, en donnant des cours et des conférences, en écrivant des articles et des livres. Il doit bien en exister quelques milliers qui se sont presque retirés du monde et vivent en quasi autarcie dans des régions reculées.
Mais pour compenser le handicap financier, on comprend pourquoi beaucoup de permaculteurs trouvent des moyens de subventionner leur activité d’une façon ou d’une autre. A travers des cours, des conférences, des livres, ou tout autre métier connexe ou parallèle. Et vu sous cet angle, c’est moins facile de les critiquer.
Émilie
Humus Sapiens pays d’Oc, le réseau de permaculture de l’arrière pays de Montpellier