Non, les aiguilles de pins n’acidifient pas le sol
Une revue de la littérature scientifique à ce sujet
A ce qu’il paraît, rien ne pousse sous les pins. A ce qu’il paraît, c’est parce que les aiguilles acidifieraient le sol. Mais est-ce si simple, et est-ce vrai d’ailleurs? Voyons si des travaux scientifiques appuient cette hypothèse.
Cet article prend place dans une série sur le carton et les aiguilles de pins en agriculture urbaine, dont toutes les sources sont disponibles dans un rapport d’étude bibliographique complet.
ATTENTION : Ce qui paraît prouvé aujourd’hui ne l’est pas forcément pour la vie, et les conditions des études sont nécessairement des simplifications de la réalité. Pour autant, l’approche scientifique constitue une branche de l’esprit critique et permet de discerner les croyances des connaissances. Alors, critiquez cette publication, ne vous en contentez pas et vérifiez les sources! Ne nous mentons pas, soyons de joyeux sceptiques, ne cessons jamais de croire mais soyons honnête sur la nature de la croyance. Bonne lecture à tous.
Aiguilles de pins et acidité du sol
Avant de traiter l’acidité supposée des aiguilles de pins, commençons par nous demander pourquoi il y aurait un lien de cause à effet quelconque avec ce qui pousse sous les pins. Pourquoi ne serait-ce pas d’autres paramètres?
- Luminosité très faible sous les pins
- Rapport C/N des aiguilles élevé
- Les pins ont des racines superficielles traçantes
- Pluies rares et pouvant être violentes : tendance du sol à l’imperméabilisation et à lixiviation/lessivage
La conjonction de ces facteurs conduit à une accumulation d’aiguilles de pin se décomposant très lentement, un tassement du sol dû à la faible vie végétale, une tendance des sols de pinèdes à la lixiviation et au lessivage, entretenant ce cercle vicieux.
Une étude fréquemment citée a testé l’usage de broyat de pin (y compris les aiguilles) et de chêne à trois épaisseurs différentes (jusqu’à 25cm), pour mesurer différents paramètres, dont le PH. Je cite : “Il n’y avait aucune relation entre le pH ou la présence de nitrates, et la profondeur du paillis.” Autrement dit, même à 25cm d’épaisseur de mulch contenant des aiguilles de pins, pas plus d’acidité.
Deux autres études ont retenu notre attention au sujet de l’acidité des aiguilles de pin. L’une de ces études, même si elle ne parle pas de nos pins habituels en méditerranée, est particulièrement intéressante. Une plantation de pins rouges et d’épicéa de Norvège a été analysée pour tenter de comprendre le rôle de l’arbre dans le processus d’acidification des sols. De nombreuses observations ont été faites dans des conditions et des intervalles de temps très diverses, permettant à l’équipe de voir que la partie aérienne (feuillage et branche) autant que les racines n’affectaient pas plus que ça le pH du sol. A ce sujet, ils ont observé que l’acidification mesurée était étalée de manière plus constante que le dépôt de la litière, suggérant qu’un autre mécanisme cause l’acidification. De plus, des échantillons de sol plus acides ont pu être relevés dans des endroits où l’arbre était soit éclairci, soit arraché, écartant quelque peu la piste des aiguilles comme cause de l’acidification. Une hypothèse de l’équipe serait plutôt la présence de champignons endémiques plus actifs là où l’arbre est ou a été, causant l’acidification sur une surface plus étendue que les aiguilles de pins, qui ont tendance à se massifier au creux de l’arbre plutôt que sur ses côtés.
La dernière étude (TK Broschat 2007) a analysé l’effet de divers mulchs et traitements fertilisants sur le pH du sol, et observe que “Le pH du sol n’a pas été affecté ni par le paillis ni par l’engrais”. Il contrebalance cependant sa conclusion en citant d’autres articles ayant observé une acidification avec des mulchs similaires mais sur des temps d’expérimentation plus longs. On vous invite donc à explorer les articles contradictoires pour forger une opinion équilibrée. On notera quand même que d’autres études non citées ici observent à plusieurs reprises que le même sol testé est plus acide quand il est nu que quand il est couvert…
Bonus : les aiguilles de pin sont inflammables
- Dans le domaine de l’énergie, on classifie les ressources selon diverses natures :
- ressources renouvelables, qui peuvent augmenter ou au contraire diminuer si surexploitées (ex : forêt, bancs de poissons, amitié. Des ressources qui peuvent augmenter ou diminuer )
- ressources dont l’exploitation ne change pas la quantité disponible (ex : l’eau à l’échelle de la planète, une belle vue, un livre, globalement les choses immatérielles, l’outillage, les structures)
- ressources qui se détériorent si on ne les exploite pas (ex : les fruits, la viande, un moteur)
- ressources dont l’exploitation fait baisser irrémédiablement le stock (ex : pétrole, lithium, argile, sable)
Une étude (Larry G. Steward et al., 2003) a comparé différents mulchs dans leur facilité à prendre feu. C’est en tout 13 mulchs différents enflammés selon trois méthodes :
- jeter trois cigarettes sur chaque matériau
- jeter trois allumettes sur chaque matériau
- exposer chaque matériau à une flamme de torche au propane
En revanche, ce tableau ci-contre montre qu’avec le test à la cigarette, les aiguilles de pins n’ont pas pris feu. C’est donc quelque chose de somme toute assez paradoxal : les aiguilles de pins sont très inflammables avec une torche, mais en jetant une cigarette dessus, la réaction n’est pas aussi immédiate et les aiguilles ne prennent pas feu. Si l’on considère que les conditions climatiques lors de l’étude (vent, humidité relative, etc.) sont différentes de la réalité, ma conclusion est que cela reste un danger potentiel d’avoir des pinèdes non-entretenues en ville.
C’est là que je veux en venir : nous faisons face à une ressource abondamment disponible toute l’année dans les pinèdes plantées en ville, qui entretient un cercle vicieux d’un point de vue agronomique, tout en représentant un danger potentiel pour les riverains. Dans le même temps, cette ressource est très accessible : n’importe qui peut les récolter à l’aide d’un grand sac et d’une paire de gants. Alors valorisons les aiguilles de pins dans les potagers urbains!
Les aiguilles de pins en mulch : balance bénéfices/risques favorable
Vous l’aurez compris, la grande accessibilité des aiguilles de pins en ville en fait une ressource de choix pour l’agriculture vivrière des villes. Sans moyen nécessaire, vous pouvez valoriser cette matière organique toute l’année, un sac après l’autre! C’est le mulch low-tech par excellence, et c’est d’autant plus intéressant que ça n’est pas valorisé en général! Or, le permaculteur a pour principe de valoriser ce qui existe autour de lui (le problème, c’est la solution). Par ailleurs, certaines des études citées abordent la question de l’économie d’eau et de désherbage engendrée par l’usage des aiguilles de pins, et sont très encourageantes. Oui, ce mulch fonctionne tout aussi bien que les autres pour soigner la terre et réduire la charge de travail au potager. De toute façon, il est généralement préférable de couvrir le sol que le laisser nu, que ce soit avec des aiguilles ou avec autre chose!
Pour autant, nous savons qu’aucun mulch n’est idéal et que d’autres sont par exemple plus nutritifs pour la vie du sol, et durables pour le jardinier. Je n’ai d’ailleurs pas parlé ici de la faim d’azote que l’usage d’un matériau aussi carbonée induirait, et l’aborderais dans un autre article. Dans tous les cas, je préconise une stratégie de paillage diversifiée : feuilles mortes à l’automne et une partie de l’hiver, herbe fraîchement fauchée au printemps, aiguilles de pin de ça de là, compost maison en début de cultures…C’est ici encore un principe permaculturel : utiliser et valoriser la diversité.
Bon mulch à tous!
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Yan Parent, pour les Humus Pays d’Oc